La décadence économique d`Haïti, un complot bien orchestré avec l’aide des élites ( Partie I)

Haïti, premier empire noir de l’Amérique vit des heures sombres et une crise multidimensionnelle (politique, économique, sécuritaire, identitaire, etc.). Cet état de fait pousse plus d’un à se questionner sur les causes de cette débâcle et de cette descente aux enfers qu’on observe depuis plus d’un siècle sur le plan économique, particulièrement. Haïti est-elle devenue pauvre par choix ou est-elle victime d’un complot bien orchestré par l’international? Quelle est la part de responsabilité des élites haïtiennes dans ce chaos économique?

Fouye Rasin Nou, le 14 mars 2025

Haïti a forgé son indépendance dans l’adversité et a dû faire face à l’hostilité des grandes puissances au lendemain de l’Indépendance. Son indépendance ayant été vue comme une anomalie et une menace aux yeux de celles-ci, elles se sont donc passé le mot en reprenant cette fameuse phrase de Talleyrand : « Il fallait laisser Haïti cuire dans son jus ». Pour ce faire, ils l’ont mise en quarantaine tout en lui imposant un embargo commercial qui devait en principe l’anéantir totalement. Cependant, ce qu’elles avaient prévu n’avaient pas atteint l’objectif escompté. Haïti était encore debout grâce à des dirigeants intrépides comme Dessalines ou encore Henri Christophe.

Un siècle plus tard, soit au début du 20eme siècle, elles allaient revenir à la charge et appliquer durant plus d’un siècle une politique de déstructuration de l’économie haïtienne et établir une structure de la dépendance voire une dépendance structurelle avec l’aide complice des élites politiques et économiques haïtiennes.

L’occupation américaine et la structure de la dépendance

L’occupation américaine d’Haïti a débuté en 1915. Cependant les bases et les objectifs de l’intervention américaine ont été posés au moins 10 ans avant. En effet, en 1904, le président américain Theodore Roosevelt inaugurait une nouvelle phase de la politique américaine en prônant la Politique du Big Stick qui permettait aux États-Unis d’intervenir dans les pays étrangers résistant a leur vision du monde et a leurs intérêts. Et dans ce jeu, Haïti n’était pas exempte parce qu’il fallait supplanter non seulement les intérêts européens mais aussi casser toute résistance au contrôle souhaité. A partir de 1908, sous le gouvernement d’Antoine Simon, les compagnies américaines négocièrent des concessions exorbitantes pour la plantation de bananes. Ainsi, en 1910, Mc Donald obtient des concessions pour 50 ans. Mais le coup génial pensé par le département d’État américain était l’acquisition en 1911 par la National City Bank de 20% du capital de la Banque Centrale d`Haïti qui, à la fois était trésorier du pays et disposait du monopole sur l’émission de billets. Cela permettait aux Américains d’exercer un contrôle financier sur le pays et par ricochet d’influencer les gouvernements successifs. Par ailleurs, en 1914, l’or qui se trouvait dans les coffres de la Banque d’Haïti a été emportée par les marines américains dans ceux de la National City Bank aux États. Ainsi, avant l’occupation, le contrôle financier était bien mis en place et la dépendance commençait à se structurer graduellement.

L’occupation militaire du territoire national en 1915 a permis de consolider cette structure grâce a une domination politique et économique qui allait se cristalliser dans la nouvelle constitution de 1918 écrit par Washington et imposée en Haïti et par l’emprunt de 1922. En effet, le président Louis Borno, pour racheter la dette française a donc fait un emprunt de 40 millions de dollars américains auprès des États-Unis. Ce prêt, selon l’historienne Suzy Castor, rapportait 11% aux hommes d’affaires américains et 90% servant au remboursement des dettes.

Néanmoins, d’autres prêts (1938 et 1941) étaient consentis sans forcément aider au développement du pays. Elles n’avaient pour effets que d’accroitre la dette haïtienne et de renforcer la dépendance haïtienne vis-à-vis des Américains. Haïti était très dépendante des Etats-Unis pour son commerce extérieur (en 1943 par exemple ceux-ci contrôlent 93% de ses importations et 90% de ses exportations), sa balance des capitaux très favorable à la puissante dominante, qui contrôle donc sa monnaie et les investissements de son gouvernement. A cela s’ajoute le fiasco du programme de la SHADA (Société haitiano -américaine de développement agricole), la déforestation et la destruction des cultures vivrières qui s’ensuivirent.

Ce contrôle financier allait subsister jusqu’en 1949 avec la libération financière réalisée par le président Dumarsais Estimé qui a finalisé le paiement de la dette et mis fin au contrôle financier américain.
Toutefois, un nouveau contrôle financier au travers de la Reserve fédérale de New York et le FMI à partir de 1961 allait réapparaître .

L’accentuation de la dépendance avec l’arrivée des organisations internationales

A partir des années 1960, une nouvelle phase de la déconstruction de l’économie haïtienne allait être inaugurée avec l’arrivée du Fonds monétaire international, l’USAID et la Banque mondiale. Ces organismes allaient fournir de l’Aide publique au développement à Haïti sous certaines conditions qui allaient non seulement affaiblir l’économie haïtienne mais aussi engendrer un cycle d’endettement perpétuel. En effet, selon Camille Chalmers, dans une interview publiée sur la Chaine YouTube « Entraide et fraternité », « en 1986, la dette haïtienne s’élevait déjà à 800 millions de dollars ». A cela, on peut ajouter l’abatage des « Cochons créoles » sous prétexte de peste porcine à l’époque. Ceci a engendré la destruction de cette filière dans le pays alors que le pays était le principal fournisseur de porc dans la caraïbe.

Par ailleurs, après la chute des Duvalier, la FMI et la Banque mondiale allaient imposer à Haïti les programmes d’ajustements structurels consistant à libéraliser le commerce par la baisse des barrières douanières mais aussi à privatiser les entreprises publiques. Une mission accomplie sans contrainte par le duo Jean Bertrand Aristide et René Préval. Ces mesures ont eu pour corollaire l’affaiblissement total de la production nationale, la dépendance économique du pays, le déficit de la balance commerciale et l’appauvrissement des masses paysannes et urbaines.
Ces mesures n’étaient certainement pas le fruit du hasard mais répondaient à un agenda spécifique et ne visaient pas le développement réel du pays.

De plus, même si officiellement on annonce avoir fourni de l’aide au pays, la majeure partie de l’argent ne profite pas réellement à Haïti. A titre d’exemple, en décembre 2010, une enquête réalisée par l’Associated Press (AP) sur les contrats attribués par le gouvernement américain a révélé que sur chaque 100 dollars, seulement 1,60 dollar était accordé à des entreprises haïtiennes. Depuis cette date, les entreprises haïtiennes n’ont bénéficié d’aucun contrat. En 2011, sur 1490 contrats attribués par le gouvernement américain, d’une valeur totale de 194 458 912 dollars, les entreprises haïtiennes ont seulement obtenu 23 contrats pour un montant de 4 841 426 dollars, soit 2,5 % du montant total.

Plus récemment, dans un article du New York Post, des révélations fracassantes montrent que les Organisations internationales n’ont pas réellement voulu aider Haïti et ont préféré détourner les fonds destinés au pays. « L’une des plus grandes organisations à but non lucratif impliquées dans la réponse d’urgence en Haïti, la Croix-Rouge, a collecté la somme impressionnante de 500 millions de dollars pour Haïti après le tremblement de terre. Par exemple, la Croix-Rouge a affirmé avoir fourni un logement à plus de 130 000 personnes, mais l’organisation n’a construit que six maisons vérifiables. L’un de ces secteurs, celui du logement, s’est révélé particulièrement trompeur, car il avait promis aux habitants de nouveaux logements, des centres de santé et des systèmes d’assainissement dans le quartier de Campeche. Mais trois ans plus tard, aucune de ces promesses n’a été tenue », peut-on lire dans cet article écrit par Paul Vallas et publié le 22 février 2025 dans les colonnes du New York Post.

Ces faits témoignent du fait que le problème économique haïtien n’est pas le fruit du hasard et que la communauté internationale y a joué un rôle déterminant. Néanmoins, cela ne saurait être possible sans la collaboration des élites politiques et économiques haïtiennes.

Domond Willington/Fouye Rasin Nou( FRN)

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