Quand la Chine investit en Afrique, Haïti demande du riz à Taïwan

La capacité de négocier des accords avantageux pour son pays est essentielle dans la diplomatie. Pourtant, elle semble être le talon d’Achille des gouvernements haïtiens, ainsi que de leurs diplomates. En effet, tandis que la Chine continentale continue d’effectuer des investissements massifs dans de nombreux pays africains, les gouvernements haïtiens successifs se contentent de recevoir avec enthousiasme des dons de riz en provenance de Taïwan. Un écart de vision et de stratégie flagrant.

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L’Afrique comme terrain d’investissement stratégique de la Chine

Entre le 4 et le 6 septembre 2024, se tient le neuvième sommet Chine-Afrique, réunissant pas moins de 50 dirigeants africains. À cette occasion, le président chinois Xi Jinping a promis que la Chine allait investir 50,7 milliards de dollars américains en Afrique au cours des trois prochaines années. « La Chine est prête à approfondir sa coopération avec les pays africains dans les domaines de l’industrie, de l’agriculture, des infrastructures, du commerce et des investissements », a-t-il déclaré lors de la cérémonie d’ouverture au Palais du Peuple à Beijing.

Dans cette même lignée, la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, a obtenu un engagement de Xi Jinping pour accélérer le projet de construction d’une ligne ferroviaire reliant son pays à la Zambie, un projet vital pour les échanges commerciaux dans cette région. Selon les médias zambiens, la Chine a promis une enveloppe d’un milliard de dollars pour le développement de cette infrastructure clé. Le Zimbabwe, de son côté, a sécurisé des engagements pour renforcer la coopération dans les domaines de l’agriculture, des énergies propres, de l’exploitation minière et des infrastructures de transport. Ces accords soulignent l’ampleur des engagements chinois en Afrique, un continent qui bénéficie largement de la stratégie chinoise des “Nouvelles Routes de la Soie” (Belt and Road Initiative).

Haïti dans une dynamique de dépendance vis-à-vis de Taïwan

Pendant que la Chine engage des milliards de dollars dans des projets structurels en Afrique, Haïti, quant à elle, reste dépendante des dons ponctuels, notamment de riz, en provenance de Taïwan. Depuis 1956, dans le cadre de la guerre froide, Haïti a choisi de reconnaître la République de Chine (Taïwan) et d’établir des relations diplomatiques avec ce pays insulaire. Aujourd’hui, Haïti fait partie des 17 derniers pays à maintenir des relations diplomatiques officielles avec Taïwan, dans un contexte où la Chine cherche à isoler diplomatiquement l’île.

Cependant, la coopération entre Haïti et Taïwan reste limitée à quelques donations de riz ou à l’octroi de bourses d’études. En 2023, Taïwan a fait don de 10 000 tonnes de riz à Haïti pour soutenir les populations les plus vulnérables. Bien que ce geste soit louable, il illustre l’absence d’une vision stratégique de la part des autorités haïtiennes pour tirer profit de leurs relations diplomatiques.

Les derniers dons en date concernaient la livraison de 1 500 ballons de football au Ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique (MJSAC), ainsi que 400 lots de matériel à la PNH, reçus chaleureusement par le Premier ministre Garry Conille.

Une absence de stratégie qui coûte cher à Haïti

En parallèle, la Chine avait pour plan d’investir massivement en Haïti. Un article d’Ayibopost paru le 24 octobre 2019 rapportait que, selon les dires du maire de Port-au-Prince, « des entreprises de la Grande Chine, deuxième économie mondiale, voulaient reconstruire la capitale du pays ». Le même journal rapportait que le représentant du bureau commercial de la Chine en Haïti confirmait que son pays souhaitait établir des liens de coopération normaux avec Haïti et que, selon lui, « les échanges commerciaux sino-haïtiens auraient atteint 694 millions de dollars en 2018 ». Sur la même période, la Chine planifiait d’investir près de 30 milliards de dollars en Haïti. Cependant, aucune suite n’a été donnée à cette avance du côté haïtien.

Cette incapacité à saisir les opportunités économiques majeures offertes par des puissances comme la Chine ne fait que souligner l’incohérence des stratégies de développement économique des gouvernements haïtiens successifs. Alors que d’autres pays, notamment africains, bénéficient d’investissements massifs pour le développement de leurs infrastructures et de leurs secteurs économiques, Haïti continue de stagner, dans une situation de dépendance chronique aux dons ponctuels, sans planification à long terme.

Une incohérence politique ou une absence de stratégie ?

Ce qui rend la situation encore plus paradoxale, c’est qu’Haïti possède déjà les ressources nécessaires pour produire son propre riz. La vallée de l’Artibonite, par exemple, représente environ 80 % de la production nationale de riz, selon une étude de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). Cependant, en raison du manque d’infrastructures modernes telles que des systèmes d’irrigation, de transport et de stockage, la production reste insuffisante pour répondre aux besoins du pays. Un rapport de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a également souligné que les variétés locales de riz, comme le “diri chela”, sont non seulement plus adaptées aux conditions agroécologiques haïtiennes, mais elles sont également plus riches en nutriments que les variétés importées, souvent traitées chimiquement.

Par ailleurs, une analyse de la Banque mondiale révèle que si Haïti investissait seulement 10 % des 50 millions de dollars qu’elle consacre chaque année à l’importation de riz dans la modernisation de ses infrastructures agricoles, la production nationale pourrait augmenter de 60 % d’ici cinq ans. Ce qui manque, selon les experts, c’est une vision à long terme. Le manque de soutien financier aux cultivateurs, ainsi que l’absence d’un cadre législatif solide pour protéger les producteurs locaux, se traduisent par une perte continue d’opportunités.

Les dirigeants haïtiens semblent incapables de concevoir et de mettre en œuvre des politiques de développement durable, ce qui condamne le pays à rester un mendiant sur la scène internationale, tandis que des pays comme la Chine et plusieurs nations africaines bâtissent des partenariats commerciaux solides et profitables.

Ainsi, dans le cadre des relations diplomatiques, au lieu d’essayer de tirer parti de sa position et de trouver des accords favorables au développement du pays sur le long terme, les diplomates haïtiens préfèrent quémander du riz et des dons de peu de valeur à leurs partenaires commerciaux.

S’il est sans doute difficile d’établir des accords avec la grande Chine du fait de l’omniprésence et de l’influence constante des États-Unis (son rival) en Haïti, il n’en demeure pas moins vrai que les diplomates haïtiens n’ont pas su faire preuve d’intelligence et de vision stratégique dans leurs négociations avec leurs nombreux partenaires, Taïwan en particulier.

Au lieu de négocier des accords d’investissements à long terme en vue du développement réel du pays, ils préfèrent et se contentent de quémander des dons de riz.

Une vision rachitique (Ti koulout) d’une diplomatie plus connue pour ses scandales de corruption que pour des résultats probants et utiles pour le pays.

Domond Willington & Jean-Pierre Styve/🌴Fouye Rasin Nou (FRN)🇭🇹

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