L’histoire politique haïtienne est marquée par des périodes récurrentes d’instabilité, où des transitions politiques précaires se sont succédé, souvent au détriment du développement du pays. Deux périodes distinctes illustrent bien cette instabilité : d’une part, l’ère des présidents éphémères entre 1911 et 1915, et d’autre part, la crise actuelle de 2024, marquée par la mise en place d’un Conseil Présidentiel de Transition. Ces deux moments témoignent d’une fragilité politique chronique, bien que les contextes et les acteurs diffèrent. Cet article explore les parallèles entre ces périodes et analyse les causes et les conséquences de l’instabilité politique en Haïti.
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!- Contexte historique de l’ère des présidents éphémères (1911-1915)
L’instabilité politique en Haïti au début du XXe siècle atteint son paroxysme entre 1911 et 1915, une période surnommée l’ère des présidents éphémères. Suite à la chute du président Florvil Hyppolite, Haïti plonge dans une série de coups d’État et de révoltes armées qui ébranlent les fondements de la République. Entre 1911 et 1915, Haïti a connu plusieurs présidents successifs, souvent installés au pouvoir par la force et renversés après seulement quelques mois de mandat. Parmi ces figures, on compte :
• Michel Oreste (1913-1914)
• Oreste Zamor (1914)
• Davilmar Théodore (1914-1915)
• Vilbrun Guillaume Sam (1915)
Chacun de ces présidents a été confronté à des troubles intérieurs, notamment des soulèvements armés de factions opposées, des révoltes de paysans et une pression internationale croissante. La guerre civile s’est intensifiée avec des factions armées soutenues par des élites politiques qui cherchaient à contrôler le pouvoir. Ce chaos politique aboutit finalement à l’assassinat de Vilbrun Guillaume Sam en juillet 1915, événement qui précipite l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934), censée stabiliser le pays et rétablir l’ordre.
- Le Conseil Présidentiel de Transition en Haïti en 2024
Plus d’un siècle après l’ère des présidents éphémères, Haïti se trouve encore une fois plongé dans une crise politique profonde. La situation en 2024 est marquée par l’absence d’un président élu et la mise en place d’un Conseil Présidentiel de Transition, composé d’acteurs politiques et de membres de la société civile. Ce conseil a été instauré après l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021 et l’incapacité des institutions à organiser des élections crédibles. Le Conseil Présidentiel de Transition a pour mission de gouverner temporairement et de préparer le terrain pour de nouvelles élections.
Cependant, ce mécanisme, censé stabiliser le pays, a lui-même été critiqué pour son manque de légitimité, car il est perçu comme une entité non élue et mise en place par des forces externes et des factions internes. Ce conseil est également confronté à des défis majeurs, notamment des troubles sociaux, une insécurité galopante due à la prolifération des gangs, et une économie en récession. Les critiques soulignent l’incapacité du Conseil à rétablir l’autorité de l’État et à garantir la sécurité des citoyens, des problèmes qui font écho aux défis auxquels les présidents éphémères du début du XXe siècle étaient confrontés.
- Comparaison des causes de l’instabilité
a) Facteurs internes
Dans les deux périodes, l’instabilité est principalement alimentée par des factions rivales au sein de la classe politique haïtienne, chacune cherchant à s’emparer du pouvoir. Pendant l’ère des présidents éphémères, la rivalité entre les élites rurales et urbaines, ainsi que la lutte pour le contrôle de l’armée, ont contribué à la fragmentation du pouvoir. En 2024, bien que l’armée ne joue plus le même rôle, la fragmentation politique est encore présente, avec des clans politiques et groupes armés exerçant une influence déstabilisante sur les institutions.
b) Pression internationale
En 1915, l’occupation américaine est perçue comme une réponse directe à l’instabilité politique, la situation interne menaçant les intérêts économiques et stratégiques des États-Unis dans la région. En 2024, la présence internationale reste importante, avec des missions onusiennes et l’implication de la CARICOM et d’autres acteurs régionaux pour faciliter les négociations politiques. Cependant, cette implication est souvent perçue comme une ingérence, et le Conseil de Transition est critiqué pour sa dépendance vis-à-vis de ces soutiens étrangers.
- Conséquences politiques et sociales
a) Érosion des institutions
Les deux périodes ont vu une érosion des institutions publiques. Entre 1911 et 1915, l’incapacité des présidents à maintenir le pouvoir de manière durable a affaibli l’autorité de l’État, facilitant ainsi l’occupation étrangère. En 2024, la mise en place d’un Conseil de Transition sans la validation des institutions constitutionnelles affaiblit encore davantage la légitimité de l’État haïtien, aggravant le sentiment de méfiance envers les autorités.
b) Impacts sociaux et économiques
L’instabilité politique a également des répercussions économiques. Au début du XXe siècle, la guerre civile et les troubles politiques ont paralysé l’économie haïtienne, provoquant une récession et une pauvreté généralisée. En 2024, Haïti fait face à une situation similaire, avec une économie en déclin, un taux de chômage élevé et une augmentation de la pauvreté extrême. Les troubles politiques, combinés à la montée de l’insécurité, aggravent la situation économique et entravent toute tentative de redressement.
Conclusion
L’histoire haïtienne semble se répéter dans un cycle d’instabilité politique et d’effondrement institutionnel. L’ère des présidents éphémères (1911-1915) et la période actuelle de transition en 2024 présentent des similitudes frappantes en termes de causes et de conséquences. Dans les deux cas, l’incapacité des élites politiques à s’unir autour d’un projet commun pour stabiliser le pays a conduit à une érosion des institutions et à des interventions extérieures. Pour briser ce cycle, il est essentiel que des solutions endogènes, basées sur le respect des lois et de la souveraineté nationale, soient mises en œuvre.
Références
1. Constitution de la République d’Haïti de 1987.
2. Dash, J. Michael. Haiti and the United States: National Stereotypes and the Literary Imagination. St. Martin’s Press, 1997.
3. Smith, Matthew J. Red and Black in Haiti: Radicalism, Conflict, and Political Change, 1934-1957. University of North Carolina Press, 2009.
4. Trouillot, Michel-Rolph. Haiti, State Against Nation: The Origins and Legacy of Duvalierism. Monthly Review Press, 1990.
5. “Haiti: Political Crisis and the Council of Transition,” International Crisis Group, 2024.
Luckenson Jean
Professeur d’histoire – Journaliste