De la banalisation des dates historiques : Le miroir de la classe politique haïtienne

Depuis le début des années 2000, une tendance à la banalisation des dates et des évènements historiques en Haïti s’est instaurée avec une classe politique qui brille pourtant par ses errements et ses échecs. De cette banalisation à outrance des dates marquantes, s’expose l’image réelle de leaders politiques et de dirigeants haïtiens dépourvus de sens et de conscience historiques qui forgent un pays à leur image et à celle de leur petitesse.

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Comme l’écrivait Aimé Césaire dans Discours sur le colonialisme : “Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir.” Cette phrase résonne douloureusement dans le contexte haïtien, où l’oubli ou la banalisation des grandes dates historiques reflète une rupture entre les dirigeants et la grandeur du passé du pays.

Cette rupture dans la transmission des connaissances historiques creuse un fossé entre les générations, accentue l’amnésie collective et laisse les grandes dates de notre passé sombrer dans l’oubli. Ce vide est amplifié par une classe politique irresponsable et cynique, qui profite de l’ignorance et du désespoir pour renforcer son emprise sur un peuple abandonné à lui-même.

Des dates à manifestations

Depuis les 21 dernières années, la plupart des leaders politiques haïtiens peinent à s’élever à la dimension historique du pays et font des dates importantes de son histoire, des « dates à manifestations ». Chaque année, les leaders d’opposition notamment se donnent à cœur joie de planifier des manifestations de rue ou des mouvements armés à l’occasion des principales fêtes nationales : 1er janvier, 18 mai, 17 octobre, 18 novembre. Aucune occasion ne manque pour organiser des manifestations de rue. À preuve, pour la date du 18 novembre, des manifestations de rue lancées par l’opposition ont été organisées en 2002, 2010, 2012, 2013, 2015, 2017, 2022. C’est aussi le cas pour le 17 octobre, date de la commémoration de la mort de Jean-Jacques Dessalines. On a au moins recensé des manifestations en 2018, 2019, 2020 et 2022. Le 1er janvier, jour de l’indépendance, et le 18 mai n’échappent pas non plus à la règle. Par exemple, le 18 mai 2019, jour de la fête du Drapeau, le SDP et Pitit Dessalines ont organisé des manifestations de rue pour demander le départ de Jovenel Moïse. Le 1er janvier 2020, à l’occasion di 216eme anniversaire de l’indépendance nationale, André Michel, leader du SDP , a encore brillé par sa capacité à faire des dates historiques une occasion de manifestations de rue.

Si les revendications populaires sont réelles et justifiées, il n’en demeure pas moins vrai que l’histoire d’un pays a une importance capitale et mérite le respect, notamment de la part des élites politiques qui doivent en principe s’élever au-dessus de la mêlée et guider les masses populaires. Cependant, force est de constater que les masses haïtiennes, malgré leur misère, sont plus éclairées que les élites politiques.

Des actions négatives au mépris de l’histoire du pays

Outre les manifestations, les politiciens haïtiens essaient par tous les moyens d’empêcher les dirigeants et la population de célébrer dignement les évènements historiques, comme si le pouvoir politique actuel se confondait à l’histoire du pays. Des barricades aux actes de vandalisme, tous les moyens sont bons pour empêcher la commémoration des évènements historiques.

Mais le cas le plus marquant de cette date porte la signature de Guy Philippe. Soutenu ouvertement par des puissances étrangères comme les États-Unis, le Canada et la France, mais aussi par la bourgeoisie haïtienne, cet opposant farouche au régime de Jean-Bertrand Aristide a fait tout son possible pour boycotter la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti. Mettant le pays à feu et à sang, il a préféré offrir au monde une image de la terreur en lieu et place de la grandeur de l’histoire du pays. Un manque flagrant de respect pour l’histoire d’Haïti et un coup certain à son image dans le monde.

Les dirigeants haïtiens de la période ne sont pas meilleurs que leurs opposants en ce sens. En effet, ils préfèrent soit déposer des gerbes de fleurs çà et là au Musée du Panthéon National, soit briller par leur absence au lieu d’organiser des évènements importants capables d’inspirer les jeunes Haïtiens. C’est le cas, par exemple, de l’ex-président Joseph Michel Martelly, qui a préféré se pavaner en Espagne le 18 novembre 2012, faisant fi de la commémoration de la bataille de Vertières. On peut aussi citer le premier ministre Garry Conille, qui n’a même pas fait mention de la cérémonie du Bois Caïman dans ses tweets le 14 août 2024, mais s’est empressé d’annoncer la fête de l’Assomption le 15 août. De plus, ils ont tendance à laisser les lieux historiques( Pont Rouge, Place d’Armes des Gonaïves) ou les monuments dans l’insalubrité totale alors qu’à l’étranger, on peut constater un respect profond pour nos héros nationaux et leurs statues. C’est le cas par exemple de certains pays de l’Amérique latine comme la Colombie ou l’équateur.

Un coup pour le prestige du pays

Cette tendance au non respect des lieux et des dates historiques a pour corolaire de porter un coup au prestige du pays aux yeux des étrangers. En effet, quand les élites politiques s’adonnent sans retenue à ternir l’image de leur propre pays et à empêcher toute célébration appropriée de ses héros et des faits historiques qui forgent l’histoire même de la Nation, les étrangers ne seront certainement pas plus enclins à manifester du respect pour le pays.

Respecter un pays, c’est d’abord respecter son histoire et ses traditions. En ce sens quand les élites politiques s’adonnent gratuitement à la banalisation de leur pays, les ennemis et même les pays amis tendront eux aussi à la banaliser.

Le miroir de la classe politique haïtienne

La banalisation des évènements ou des dates de l’histoire haïtienne est le reflet d’une bonne partie de la classe politique haïtienne, qui tend à faire de la banalité un quotidien. Nombre d’entre eux banalisent l’ingérence étrangère, la pauvreté, la corruption et l’insalubrité. Rares sont ceux qui cherchent à s’élever au-dessus de la mêlée pour se placer en hommes d’État capables de voir les dangers de la banalisation des thèmes importants.

Ainsi, la banalisation des dates et des évènements historiques par les politiciens haïtiens répond à une rhétorique de destruction des valeurs importantes de la société et sert à minimiser leur incompétence et leur propre petitesse. Comme quoi, on ne peut pas offrir ce qu’on n’a pas.

Domond Willington/Fouye Rasin Nou(FRN)

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