Haïti traverse en 2024 une crise aux multiples dimensions : instabilité politique, insécurité généralisée, effondrement économique et exode massif des compétences. Alors que le pays sombre dans le chaos, les universités et les étudiants, gardiens naturels du savoir et moteurs du changement, semblent en retrait, incapables d’occuper le rôle central qu’ils devraient jouer. Pourquoi ce silence ? Quels sont les défis réels auxquels fait face l’enseignement supérieur ? Et surtout, comment ces institutions peuvent-elles rallumer la lumière dans cette obscurité nationale ?
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Les universités haïtiennes à la marge : des chiffres révélateurs
La situation est d’autant plus alarmante que les universités haïtiennes sont absentes du classement 2024 des 430 meilleures universités d’Amérique latine et des Caraïbes. À l’opposé, la République dominicaine y figure avec 10 universités, dont l’Instituto Tecnológico de Santo Domingo (INTEC), classé à la 141ᵉ place. Cet écart symbolise le retard structurel de l’enseignement supérieur haïtien. Il met en lumière des défaillances profondes : absence de financement, obsolescence des infrastructures et manque de vision stratégique.
La crise éducative, dont l’ampleur est alarmante, en est la cause première. Selon l’UNESCO, en 2017, seulement 1 % de la population haïtienne avait accès à l’enseignement supérieur, un chiffre révélateur d’un système incapable d’offrir une opportunité de transformation sociale à une majorité de citoyens.
Ce constat soulève une question fondamentale : comment un pays peut-il se reconstruire sans investir dans ses centres de savoir ? Les universités, en tant que piliers de la connaissance, devraient être les premières à proposer des solutions aux défis nationaux. Pourtant, elles restent marginalisées dans les débats publics. Comme le rappelait Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. »
Un budget dérisoire et mal utilisé : l’exemple frappant de l’UEH
L’interview accordée par Renauld GOVAIN, Doyen de la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’État d’Haïti (UEH), à Ayibopost le 10 décembre 2024, expose une situation encore plus préoccupante. Le budget du Fonds d’appui à la recherche pour l’exercice fiscal 2023-2024 s’élève à seulement 32 millions de gourdes (environ 300 000 dollars américains).
Ce montant, déjà insuffisant pour dynamiser la recherche universitaire, est en plus mal orienté. En premier lieu, la majorité de ces fonds finance des mémoires de licence, dont plus des trois quarts ne sont jamais soutenus ou demeurent inachevés. Cependant, un mémoire, bien qu’indispensable pour la validation d’un cursus académique, ne constitue pas une recherche formelle susceptible d’apporter des solutions concrètes aux problèmes du pays.
Par ailleurs, une autre partie de ce budget est allouée à de petits projets de recherche, souvent limités à un financement d’un million de gourdes chacun. Ces initiatives, bien qu’elles témoignent d’une volonté de promouvoir la recherche, manquent d’envergure et de moyens pour avoir un réel impact sur les défis économiques, environnementaux ou sociaux d’Haïti.
En somme, ce faible budget et sa gestion inefficace reflètent une absence de vision stratégique, freinant toute possibilité pour l’enseignement supérieur d’assumer son rôle dans la reconstruction du pays.
Le silence des étudiants : entre résignation et potentiel inexploité
Historiquement, les étudiants haïtiens ont joué un rôle crucial dans les moments décisifs de la nation. On peut, par exemple, rappeler leur rôle déterminant lors des événements de 1946, connus sous le nom de Révolution de 1946. Ce soulèvement étudiant et intellectuel avait pour but de dénoncer la corruption, l’injustice sociale et le régime autoritaire du président Élie Lescot. Portée par des revendications pour plus de démocratie et de liberté, cette mobilisation a conduit à la chute du gouvernement, marquant ainsi une victoire historique pour la jeunesse haïtienne et la société civile. Pourtant, aujourd’hui, ce potentiel de mobilisation reste inexploité, étouffé par le manque d’opportunités, la précarité et une insécurité croissante. Les voix estudiantines, autrefois moteurs de protestation et d’innovation, sont réduites au silence.
Quelle peut être la contribution des universités face aux défis nationaux ?
Face à la dégradation systémique du pays, les universités doivent impérativement se réinventer et assumer leur rôle d’avant-garde. Elles doivent d’abord se positionner comme des centres de réflexion et d’innovation. Il est essentiel de prioriser des recherches appliquées, capables d’offrir des solutions concrètes aux défis majeurs tels que l’insécurité alimentaire, le changement climatique et la gouvernance déficiente. De plus, la création de laboratoires interdisciplinaires permettrait de générer des données scientifiques pour guider les politiques publiques.
Ensuite, les universités doivent devenir des catalyseurs de talents pour freiner l’exode des cerveaux. En proposant des programmes attractifs et innovants, elles peuvent offrir aux jeunes diplômés des perspectives viables en Haïti. En outre, le développement de partenariats internationaux faciliterait l’échange de compétences et de ressources, tout en formant des chercheurs capables de contribuer au progrès national.
Enfin, les universités doivent être des espaces de critique constructive et de mobilisation citoyenne. En encourageant les étudiants à questionner le système, à dénoncer les dysfonctionnements et à participer activement à des initiatives locales, elles deviendraient des acteurs clés dans la transformation sociale et politique du pays.
Pour ce faire, il est aussi impératif que les étudiants fédèrent leurs efforts afin d’exiger une refonte du système éducatif et des financements adaptés. En parallèle, ils doivent s’engager activement dans des initiatives communautaires visant à pallier l’inaction des autorités. Enfin, en utilisant les nouvelles technologies, ils peuvent sensibiliser, mobiliser et produire des solutions à petite échelle.
Comme le disait Gabielle SAMEDY, étudiante engagée et finissante à l’Université Publique du Sud-Est à Jacmel (UPSEJ) à la Faculté de Gestion : « Haïti, à l’image d’un papillon de nuit cherchant la lumière, a besoin de ces piliers de la connaissance pour éclairer la voie vers un meilleur avenir. »
Investir dans le savoir pour reconstruire Haïti
L’absence d’Haïti dans les classements universitaires régionaux et le budget dérisoire alloué à la recherche scientifique sont des symptômes d’un problème plus profond : le manque de vision et d’ambition pour l’enseignement supérieur. Mais aucune nation ne peut se développer sans un système éducatif fort et des centres de recherche capables d’apporter des solutions.
Les universités haïtiennes, avec leurs étudiants et chercheurs, doivent s’élever comme des phares dans cette obscurité. En assumant leur rôle, elles peuvent créer un écosystème propice à l’innovation, mobiliser la jeunesse et redonner confiance en l’avenir d’une Haïti capable de se relever.
Il est temps d’allumer cette flamme de la connaissance, d’investir dans le savoir et de donner aux universités haïtiennes les moyens d’éclairer le chemin d’une nation en quête de renaissance. L’avenir d’Haïti dépend de la valorisation de son potentiel intellectuel.
Jean-Pierre Styve/ FOUYE RASIN NOU (FRN)