Ils sont éduqués, diplômés de grandes institutions, fiers de leurs titres et de leurs « supposées compétences ». Et pourtant, les dirigeants actuels d’Haïti, ces élites censés formées pour comprendre les rouages du pouvoir et capables de concevoir les réformes nécessaires, laissent leur orgueil et leurs ambitions personnelles prendre le pas sur leur devoir envers la nation. Plutôt que de s’unir en patriotes pour libérer le pays de l’asphyxie, ils se querellent, se disputent des ministères, des positions, et chaque poste devient un trophée à défendre, peu importe les conséquences pour le peuple. Cette lutte de pouvoir incessante, cette compétition stérile, ne fait que révéler l’étendue de leur incapacité et de leur indifférence. Leur incompétence devient un fardeau pour la nation, une honte qui continue de plonger Haïti dans un abîme de désespoir.
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Comme le dit un proverbe haïtien avec justesse :
«Lè kay la ap pran dife, se pa lè pou w ap chache kilès ki chèf ponpye. »
Ce proverbe illustre bien l’absurdité de la situation : alors que le pays est en feu, ses dirigeants se disputent le contrôle, oubliant leur devoir de sauver la nation. Leur égoïsme aveugle affaiblit chaque jour un peu plus le pays.
Depuis des mois, Haïti est plongée dans une transition politique qui non seulement piétine, mais semble dépourvue de vision, de cap ou même d’une simple volonté de réforme véritable. La période du gouvernement d’Ariel Henry a incarné un crescendo de promesses non tenues et d’espoirs piétinés, laissant le pays en proie à une crise multiforme tandis que ses dirigeants apparaissent de plus en plus déconnectés des attentes et souffrances de la population. Aujourd’hui, sous la houlette d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et de son Premier ministre Garry Conille, le pays continue de dériver sans but, accentuant un fossé béant entre les autorités et les besoins impérieux du peuple haïtien.
Le paysage politique haïtien parait figé dans une léthargie paralysante, comme hypnotisé par ses propres échecs. Incapable de répondre aux crises qui s’amoncellent, de l’insécurité galopante à l’effondrement économique, en passant par des institutions en ruine, la classe dirigeante semble sourde et aveugle face à la gravité de la situation. Chaque jour qui passe est une bombe à retardement sociale, une promesse supplémentaire de révolte contre un statu quo de misère et d’abandon. Tandis que les autorités demeurent empêtrées dans des querelles de pouvoir et des stratégies futiles, les appels désespérés de la population restent ignorés, enfouis sous le poids d’une bureaucratie indifférente et de l’inaction.
Les chiffres eux-mêmes sont accablants. En 2023, le taux de chômage a atteint un vertigineux 40 %, avec près de 60 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, selon les données de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI). Par ailleurs, l’insécurité a explosé : le nombre de kidnappings a augmenté de 30 % en un an, les groupes armés contrôlant aujourd’hui environ 80 % de Port-au-Prince. Dans un pays où l’insécurité paralyse les mouvements, les services de base et l’économie, la vie quotidienne est devenue une lutte acharnée pour la survie.
Un passif politique lourd de leçons oubliées
Ce drame qui se joue n’est pas sans précédent. Haïti semble condamnée à répéter les mêmes erreurs, prisonnière d’un cycle de gouvernements transitoires et d’opportunités manquées. Après la chute de la dictature des Duvalier en 1986, une transition s’est ouverte avec la promesse d’une démocratisation qui n’a jamais vu le jour. Les luttes intestines ont éclipsé l’urgence de construire une véritable gouvernance démocratique. En 1987, le massacre survenu lors de la première tentative d’élection constitutionnelle a non seulement endeuillé la nation, mais a aussi donné le ton à une histoire jalonnée de désillusions.
Un autre exemple poignant est celui de la transition post-Aristide en 2004. Marquée par un exode massif, une explosion de la violence et l’ingérence de la communauté internationale, cette période de transition a aussi été source de nouvelles espérances rapidement balayées par l’absence de réformes structurelles et de véritables projets de développement.
Un carrefour de toutes les urgences
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et la population, elle, est à bout de souffle. En 2024, selon les rapports du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), environ 80 % de Port-au-Prince est sous le contrôle des gangs. Cette situation dramatique entrave toute tentative de rétablissement des services publics, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, et rend impossible la tenue de quelque processus électoral que ce soit. L’économie, déjà sinistrée, est plombée par des pertes de revenus, une inflation galopante et une insécurité qui ne fait qu’accroître la pauvreté.
À ce stade, il ne s’agit plus d’un simple appel au changement, mais d’une injonction vitale. Haïti ne peut plus se permettre de demi-mesures ni de promesses sans lendemain. La classe politique, la société civile, le secteur privé et la communauté internationale doivent converger vers une action unie et déterminée. Des élections crédibles, une révision de la Constitution et une gouvernance en prise directe avec les réalités locales sont des impératifs qui ne souffrent plus d’aucun délai.
Comme l’a si bien souligné l’essayiste haïtien Jan Mapou :
« La vraie tragédie d’un pays n’est pas seulement le manque de leaders, mais l’abondance de ceux qui, malgré leurs titres, préfèrent l’orgueil et la division à l’intérêt collectif. »
Chaque minute d’inaction est une trahison envers un peuple qui réclame avec force un avenir où espoir et dignité seraient enfin possibles. L’histoire nous a montré que les périodes de transition sans cap clair mènent inexorablement à l’échec. Il est temps de rompre avec cet engrenage infernal.
Styve Jean-Pierre/Fouye Rasin Nou(FRN)