Haïti : Victime de ses dirigeants, pas d’une malédiction,Quand l’incompétence masque le fiasco de la libéralisation économique

Ensemble de perssone travaille dans un factorie en haiti

Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!

Depuis des décennies, Haïti est confrontée à des crises économiques et sociales qui semblent sans fin, souvent attribuées à des croyances infondées d’une prétendue malédiction. Pourtant, en analysant les choix politiques et économiques, il apparaît clairement que ces échecs trouvent leurs racines dans des décisions irréfléchies et une gestion incompétente.

Pour expliquer la descente aux enfers d’Haïti, les politiques comme les simples d’esprit évoquent souvent une théorie selon laquelle Haïti serait maudite et paierait le prix d’un supposé pacte qui entraverait son développement. Cependant, en explorant les problèmes en profondeur, force est de constater que le mal est ailleurs. Les décisions successives en matière économique ont conduit le pays vers la débâcle. La dernière en date est la décision de libéraliser le commerce avec l’entrée du pays dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) officiellement à partir du 30 janvier 1996, même si elle était membre du GATT depuis le 1ᵉʳ janvier 1950.

Fouye Rasin Nou, le 8 décembre 2024_L’adhésion d’Haïti à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1996 a eu des effets ambivalents sur son développement économique. Bien que certains aspects de l’adhésion puissent être considérés comme bénéfiques, les résultats ont été mitigés et l’impact réel sur le développement du pays a été limité, voire néfaste. Les dirigeants haïtiens ont signé des accords commerciaux sans prévoir les conséquences à long terme de telles décisions.

L’adhésion à l’OMC a permis à Haïti de bénéficier d’un accès élargi aux marchés mondiaux grâce à la réduction des barrières commerciales et devait ouvrir la voie à de nouvelles opportunités pour les exportations haïtiennes et ainsi renforcer la compétitivité du pays dans le commerce international. Néanmoins, on a assisté à la production de l’effet inverse. En effet, les dirigeants haïtiens, sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, ont adhéré tête baissée aux principes de la réduction des barrières douanières voulue par l’OMC et aux règles sur les tarifs douaniers, les subventions et les pratiques commerciales sans prendre en compte les obstacles structurels auxquels faisait et continue de faire face l’économie haïtienne.

Les obstacles

Le premier obstacle est l’insuffisance des infrastructures économiques. En effet, Haïti fait l’objet d’une carence à plusieurs niveaux. Tout d’abord, le réseau de transport en Haïti est l’un des plus fragiles des Caraïbes. Il comprend des routes en mauvais état, une insuffisance d’infrastructures portuaires et aéroportuaires et un transport en commun limité. Cela entraîne des coûts élevés pour le commerce, notamment pour le transport des marchandises à l’intérieur du pays et vers l’étranger.

Par ailleurs, Haïti manque d’infrastructures énergétiques, ce qui rend les activités économiques, notamment l’industrie et les entreprises, non compétitives par rapport à d’autres pays ayant une fourniture d’énergie plus stable et abordable. Seules quelques grandes villes ont accès à l’électricité, et de manière instable. De plus, Haïti a une infrastructure de communication peu développée, ce qui réduit la capacité du pays à participer pleinement aux échanges mondiaux, en particulier dans le domaine des services numériques et du commerce électronique. À cela, on peut ajouter le faible niveau d’éducation et un manque de soutien pour les entreprises locales afin de mieux se positionner sur les marchés internationaux.

Cependant, l’intégration au commerce mondial nécessite des réseaux de transport efficaces, des approvisionnements énergétiques stables et abordables, ainsi qu’un accès aux technologies de l’information. Or, en signant les différents accords de l’OMC, notamment ceux se référant au cycle d’Uruguay, les dirigeants haïtiens ne semblent pas avoir tenu compte de ces réalités qui réduisent considérablement la compétitivité du pays dans le commerce international.

Les conséquences de l’incompétence

En signant les yeux fermés les différents accords avec l’OMC et d’autres organismes internationaux comme le FMI et la Banque mondiale, les dirigeants haïtiens n’ont pas été à la hauteur de leur tâche, qui consiste à prévoir, car « diriger, c’est prévoir ». Ils ont ainsi entraîné le pays dans un cycle de débâcle économique sans précédent. Le marché, qui était plus ou moins protégé avant 1995, est devenu le plus ouvert des Amériques et l’un des plus ouverts au monde avec ses tarifs douaniers extrêmement bas. En effet, le 15 février 1995, est publiée dans le journal officiel Le Moniteur une loi modifiant les droits de douane. Elle prévoyait que l’Administration générale des douanes, pendant une période transitoire, appliquerait, sauf pour les produits mentionnés à l’article 2 de la présente loi, un taux équivalent à :


• zéro pour cent (0 %) pour tous les produits taxés actuellement de 0 à 10 % ;
• cinq pour cent (5 %) pour les produits taxés actuellement à 15 % et 20 % ;
• dix pour cent (10 %) pour les produits taxés actuellement à 25 % et 30 % ;
• quinze pour cent (15 %) pour les produits taxés actuellement de 35 % à 50 %.

Ainsi, plus de soixante pour cent (60 %) des produits tombaient dans la fourchette des taux variant de 0 à 10 %. Autrement dit, le gouvernement d’alors a donc volontairement renoncé aux revenus que lui rapportaient 60 % de son importation juste en appliquant un tarif zéro.

Avec cette disposition légale, Haïti dispose, au niveau de la région Amérique latine et Caraïbes, de la moyenne des droits la plus faible, soit 17,6 %, tandis qu’Antigua-et-Barbuda est à 58 % ; la Barbade à 78,1 % ; le Belize à 58,2 % ; la Dominique à 58,6 % ; la République dominicaine à 34,9 %, et enfin la Jamaïque à 49,8 %, tous membres de l’Organisation mondiale du commerce.

En outre, Haïti a signé avec le FMI et la BM l’Accord de Facilité d’Ajustement Structurel Renforcé (FASR), qui s’étend sur la période 2006-2009 et avait pour but de rendre l’économie haïtienne plus compétitive et de faciliter son intégration dans l’économie mondiale. Cet accord stipulait : « la libéralisation complète de l’agriculture par la réduction drastique des tarifs agricoles et l’élimination des barrières non tarifaires, l’abolition des taxes d’exportation ». Il en est résulté l’abaissement à 4,5 % du tarif moyen pour l’agriculture. Alors qu’auparavant, les tarifs appliqués aux produits agricoles évoluaient dans la fourchette 40-50 %. Par exemple, ils sont fixés actuellement à 3 % (riz, sucre), 5 % (viande de poulet, de porc) voire 0 % (banane, œuf, lait) alors qu’ils étaient pour ces catégories de produits respectivement 50 %, 40 % et 50 %.


Impacts sur l’agriculture

L’agriculture a toujours été la principale source de recettes fiscales du pays jusque dans les décennies 1960-1970. La participation du secteur agricole à la formation du PIB était de 45 % dans les années 70 contre 26 % en 2009, soit une baisse de 19 % sur la période et d’environ 0,5 % par an. L’exportation agricole a diminué de plus en plus, avec la disparition de produits traditionnels tels que le sucre et la viande. Par exemple, le montant des devises généré par l’exportation du café est passé de 52,5 à 3,8 millions de dollars (source : MARNDR, septembre 2009).

L’offre alimentaire est toujours caractérisée par son insuffisance face à la demande. Selon les estimations de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA) en 2004, la production nationale assurait 43 % des besoins alimentaires disponibles (en tonnes d’équivalents céréales), les importations 52 % et l’aide alimentaire 5 %. Les enquêtes les plus récentes montrent que les besoins nutritionnels d’approximativement 1,9 million de personnes ne sont pas satisfaits.

Ces décisions désastreuses ont contribué à la destruction de la production nationale et au renforcement de la dépendance économique du pays.

Impacts sur le commerce et la compétitivité

En raison de l’extrême libéralisation de l’économie, couplée à la défaillance de ses infrastructures économiques, Haïti a été exposée à une concurrence accrue, en particulier de la part de pays dont les industries sont mieux développées, tout en étant incapable de se positionner favorablement dans le commerce mondial. Non compétitive et incapable de rivaliser avec les autres économies, Haïti a affiché, au fil des ans, un déficit important et constant de la balance commerciale, dû à la hausse vertigineuse des importations.

Comme l’a souligné l’économiste Eddy Labossière, « une économie qui s’ouvre brutalement au commerce international sans avoir au préalable renforcé ses bases internes court à sa perte. Le manque d’infrastructures solides et de politiques de soutien transforme cette ouverture en un piège économique plutôt qu’une opportunité.» Ce constat illustre parfaitement le dilemme auquel Haïti est confrontée depuis des décennies.


Le tableau ci-dessus montre que le pourcentage de nos importations par rapport à notre PIB est passé de 72,50 % pendant l’exercice fiscal 1995-96 à 114,85 % pour l’exercice fiscal 2000-01. En 2005 et 2010, l’écart s’est creusé à un niveau exponentiel, soit 125,78 % et 149,19 %, respectivement.

Selon les données de l’OMC sur Haïti, en 2022, la situation se présentait ainsi :

Données Montant en millions de dollars us 
Exportations de marchandises f.o.b. 1282 
Importations de marchandises c.a.f. 4622 
Exportations des services commerciaux 96 
Importations de services commerciaux 644 

Ces différentes données montrent que les décisions des gouvernements successifs, de 1994 à nos jours, de libéraliser le commerce à l’extrême sans négocier les clauses des accords ont mené le pays vers la ruine et une dépendance accrue. N’ayant pas prévu les conséquences à moyen et court terme de leurs décisions, les dirigeants haïtiens ont brillé par leur incompétence et leur incapacité à prendre les bonnes décisions pour le pays.

Des choix qui méritent d’être questionnés, car ils nous aident à mieux comprendre la situation actuelle du pays. Haïti n’est pas maudite, mais victime des choix irréfléchis de ses dirigeants incompétents, dont certains osent encore se présenter comme les sauveurs du pays.

Comme le soulignait Leslie François Manigat avec gravité : « Un peuple livré à des dirigeants irresponsables et sans vision est condamné à subir les revers de leurs erreurs. »

Ceci dit Haïti n’est donc pas maudite, mais bien trahie par des choix inconséquents et des politiques hasardeuses. Ces dirigeants, responsables de tant d’échecs, doivent rendre des comptes. L’heure n’est plus au silence ni à la résignation. L’histoire exige des réponses.

Références
• MARNDR, Politique de développement agricole 2010-2015/Draft 1, septembre 2009, 27 pages
https://www.canada-haiti.ca
https://www.wto.org/

DOMOND WILLINGTON / Fouye Rasin Nou (FRN)

You cannot copy content of this page