Depuis la fin de la présidence de l’ex-président Jovenel Moïse, une nouvelle rhétorique est à l’ordre du jour : organiser un référendum pour changer la Constitution haïtienne. Combattue avec véhémence par les opposants de Jovenel Moïse, qui l’assimilaient à une tentative de renforcer son pouvoir personnel, cette idée a refait son apparition après la mort de ce dernier et est devenue l’un des objectifs du Conseil présidentiel de transition, composé des membres de l’ancienne opposition. Pourquoi cette obstination à vouloir changer la Constitution ? Est-ce une nécessité ou un choix politique dicté par des intérêts inavoués ?
Fouye Rasin Nou, le 13 février 2025 – Depuis plusieurs semaines, l’État haïtien a décidé d’organiser des assises dans plusieurs départements en vue de préparer un référendum pour changer la Constitution de 1987 amendée et la remplacer par une nouvelle Constitution. Le référendum constitutionnel devrait se tenir le 11 mai 2025, tandis que les élections générales auraient lieu à la mi-novembre 2025, selon le président du CPT, Leslie Voltaire, lors d’une visite en France le mercredi 29 janvier 2025. Pour ce faire, un comité de pilotage de la Conférence nationale de neuf membres, présidé par l’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles, a été créé par arrêté présidentiel et installé le 23 août 2024, avec un budget de près de 600 millions de gourdes. Sa première mission consiste à recueillir les propositions, via des assises nationales et étrangères, afin d’arriver à la tenue d’un référendum sur la Constitution et à l’organisation des élections.
Une remise en question de la méthodologie
Ce projet de référendum pour changer la Constitution a essuyé des critiques de la part de plusieurs secteurs, notamment pour sa méthodologie. Plus d’un estime qu’il fallait d’abord consulter la population sur sa volonté de changer la Constitution. Or, que ce soit avec Jovenel Moïse ou le CPT actuel, force est de constater que cette décision découle de la seule volonté du pouvoir en place.
Par ailleurs, certains relèvent aussi un manque de transparence dans le processus. En effet, la population haïtienne, peu éduquée, ne sait même pas ce qu’est un référendum constitutionnel. Suite à des micros-trottoirs organisés sur la question, certains parlent de “Fadom” (un terme qui n’existe nulle part) et donnent des définitions aussi farfelues qu’insolites concernant le référendum. Bref, ils n’en connaissent ni la définition, ni le sens, ni l’utilité, ni encore la portée. Alors, comment demander à la population de voter pour quelque chose qu’elle ne comprend même pas ?
De plus, aucune campagne médiatique ou de sensibilisation pour expliquer ce qu’est le référendum n’a été organisée à travers le pays depuis 2020, date à laquelle ce projet a été mis sur la table. Cependant, rien que durant la présidence de Jovenel Moïse, 40 millions de dollars américains ont été volatilisés dans le cadre de ce processus, et d’autres millions continuent à disparaître sans que la population en sache davantage sur le référendum.
Enfin, ce manque de transparence concerne aussi le texte constitutionnel en question. Le projet de Constitution n’a, à ce jour, pas été vulgarisé pour qu’il fasse l’objet de débats dans les cercles de réflexion et dans les médias. Nul ne sait réellement ce que l’on veut ou souhaite changer dans la Constitution. Comme un secret de polichinelle, le texte est bien gardé, mais l’État veut à tout prix que la population aille voter ce « chat nan makout ».
Pourquoi vouloir tant changer la Constitution ?

Les promoteurs de l’idée de changer la Constitution soutiennent qu’elle est dépassée et inadaptée aux changements du monde actuel. À ce titre, il faudrait carrément la changer et la remplacer par une nouvelle, jugée plus adaptée. Cependant, cette idée, aussi audacieuse soit-elle, est elle-même sujette à débat.
En effet, pourquoi vouloir changer une Constitution qu’on n’a jamais vraiment appliquée ? Les lois inscrites dans la Constitution haïtienne ainsi que les autres textes législatifs n’ont pas toujours fait l’objet d’une application stricte. Combien de fonctionnaires publics et de haut placés ont été impliqués dans des scandales de corruption sans jamais être inquiétés ? Ne faudrait-il pas d’abord appliquer la Constitution avant de penser à la changer ?
La deuxième interrogation concerne la volonté de changer radicalement la Constitution, jugée soi-disant inadaptée. Indépendante depuis 1804, Haïti a connu plus de 22 constitutions, dont la dernière en date a été amendée en 2012. Historiquement, ces différentes constitutions ont été adoptées en fonction des intérêts de groupes politiques particuliers et à la suite de périodes d’instabilité politique.
En parallèle, les États-Unis, indépendants depuis 1776, n’ont connu qu’une seule Constitution, mais qui a été amendée à plusieurs reprises. Alors, la question qu’on pourrait se poser est : a-t-on un problème de Constitution ou un problème d’application de la Constitution ? Pourquoi ne pas simplement l’amender pour l’adapter ?
La troisième interrogation concerne la légalité et la légitimité de l’action gouvernementale. En effet, l’article 284-3 de la Constitution interdit formellement le projet du CPT de changer la Constitution. Voici ce que dit l’article 284-3 :
« Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite. »
Cela signifie que cette démarche d’organiser un référendum constitutionnel est, en elle-même, inconstitutionnelle.
Enfin, force est de constater que le Conseil présidentiel de transition a été lui-même créé en dehors des prescriptions constitutionnelles. Aucun texte des lois haïtiennes ne prévoit la création d’une telle structure. Aussi, peut-on légitimement se demander si le CPT a la légitimité nécessaire pour changer la Constitution, qui plus est, dans un contexte de transition et de perte de contrôle d’une partie du territoire par l’État au profit des bandits.
Tout compte fait, le pouvoir en place et les promoteurs de l’idée de changer à tout prix la Constitution n’ont pas tout dit ou ne veulent pas tout dire. La question reste néanmoins pertinente : a-t-on un problème de Constitution ou un problème d’application ?
Domond Willington / Fouye Rasin Nou (FRN)

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