L’aérodrome de Jacmel, un aéroport international? Vraiment, Monsieur le ministre?

Dans l’euphorie de la visite du président colombien Gustavo Petro à Jacmel, ce mercredi 22 janvier 2025, le ministre de la Culture et de la communication , Patrick Délatour, a déclaré lors d’une conférence de presse que l’aérodrome de Jacmel est désormais un « aéroport international » et propose de le baptiser « Aéroport international Magloire Ambroise ». Cette déclaration cadre-t-elle avec la réalité? Cette infrastructure répond-elle aux normes d’un aéroport digne de ce nom?

Fouye Rasin Nou, le 24 janvier 2025 – En prélude à la visite du président colombien Gustavo Petro à Jacmel (chef-lieu du département du Sud-Est d’Haïti), le gouvernement haïtien a débloqué 500 millions de gourdes (environ 3,8 millions de dollars américains) pour des travaux d’infrastructure ponctuels en préparation de cette visite officielle. Ces travaux comprenaient la rénovation d’un tronçon de route, de l’aérodrome de Jacmel, et de certains bâtiments publics. Concernant l’aérodrome, les travaux ont consisté principalement à allonger la piste d’atterrissage, qui est passée de 700 mètres à 1000 mètres, soit une extension de 300 mètres. Suite à cet « exploit », l!ancien ministre du tourisme( 2006-2011) et actuel ministre de la culture, Patrick Delatour a fièrement proclamé que l’aérodrome était désormais un aéroport international. Rien que cela.

Aéroport ou aérodrome?

Avant ces récents travaux, l’infrastructure ressemblait davantage à un aérodrome qu’à un véritable aéroport. En effet, un aérodrome est défini comme une surface aménagée (sur terre ou sur l’eau) permettant aux avions de décoller ou d’atterrir, et dotée d’une infrastructure de base pour leurs mouvements au sol. Cela peut inclure des bâtiments, une tour de contrôle, des aires de stationnement, ainsi que des ateliers de maintenance et de réparation. À l’inverse, un aéroport se distingue par sa stature et ses infrastructures conformes à des critères de certification stricts, définis notamment par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

Dans l’euphorie de la visite du président colombien Gustavo Petro à Jacmel, ce mercredi 22 janvier 2025, le ministre de la Culture et de la communication , Patrick Délatour, a déclaré lors d’une conférence de presse que l’aérodrome de Jacmel est désormais un « aéroport international » et propose de le baptiser « Aéroport international Magloire Ambroise ». Cette déclaration cadre-t-elle avec la réalité? Cette infrastructure répond-elle aux normes d’un aéroport digne de ce nom?

Un aéroport est conçu pour gérer un trafic aérien important, incluant des milliers de passagers quotidiennement, tandis qu’un aérodrome a une capacité limitée, avec un faible nombre de mouvements d’avions par jour. Par exemple, l’aérodrome de Jacmel, avant rénovation, accueillait moins de 10 vols par mois selon les données du Bureau National de l’Aviation Civile (OFNAC), tandis que l’aéroport international Toussaint Louverture peut enregistrer environ 150 vols commerciaux par semaine.

En ce sens, classer l’aérodrome de Jacmel comme un « aéroport » relève déjà du débat, si l’on tient compte de son état actuel et des normes à respecter. Bref, il ne serait même pas un aéroport digne de ce nom.

Quand peut-on parler d’aéroport international?

Aéroport de Miami

Après avoir étendu la piste de 300 mètres, le ministre a décidé de hisser l’aérodrome de Jacmel au rang d’aéroport international. Cependant, les infrastructures ainsi qualifiées doivent impérativement répondre à des critères bien spécifiques.

Tout d’abord, un aéroport international doit disposer des installations nécessaires pour traiter des vols internationaux et accueillir des liaisons entre au moins deux pays. Cela inclut des postes de douane pour le contrôle des marchandises et des bagages, ainsi que des services d’immigration pour vérifier passeports et visas.

Ensuite, un aéroport international doit respecter les normes de sûreté définies par l’OACI, notamment en matière de signalisation, de navigation et de gestion du trafic aérien et détenir une certification permettant de traiter des vols internationaux.

Enfin, elles doivent avoir la capacité d’accueillir différents types d’avions voire les gros porteurs. Elles sont aussi dotées d’autres services comme l’assistance linguistique, les services de change, des zones de transit, des agences de contrôle sanitaire ( pour prévenir les épidémies ou la pandémie), etc. Bref un aéroport international, c’est un tout et non une piste d’atterrissage.

Par exemple, l’aéroport international Toussaint Louverture de Port-au-Prince, qui répond à certains de ces critères( et pas tous) , dispose d’une piste de 3000 mètres, permettant l’atterrissage de gros porteurs comme le Boeing 747, tandis que l’aérodrome de Jacmel ne peut accueillir que des avions de type ATR ou Cessna.

Haïti dispose toutefois d’un autre aéroport : l’Aéroport International Hugo Chávez, situé au Cap-Haïtien, dans le département du Nord. Modernisé en 2013 grâce à une coopération avec le Venezuela, il est doté d’infrastructures nécessaires pour traiter des vols internationaux, pas forcément au standard des plus grands aéroports du monde. Avec une piste de 2 652 mètres, il accueille des compagnies aériennes telles qu’American Airlines, qui opèrent des vols directs entre le Cap-Haïtien et des villes comme Miami. Cet aéroport, bien qu’à échelle réduite par rapport à celui de Port-au-Prince, respecte les standards internationaux de base.

En résumé, un aéroport international ne s’improvise pas. Il ne se limite pas à un simple allongement de piste, mais repose sur un ensemble d’infrastructures complexes respectant des normes rigoureuses.

Aéroport de Montreal

En l’état actuel, l’aérodrome de Jacmel ne dispose même pas d’une tour de contrôle digne de ce nom, ni des infrastructures nécessaires pour traiter des vols internationaux. Par ailleurs, selon un rapport publié en 2024 par l’International Air Transport Association (IATA), Haïti ne compte actuellement que deux aéroports véritablement certifiés pour des vols internationaux : l’Aéroport International Toussaint Louverture et l’Aéroport International Hugo Chávez.

Après la rénovation de l’aérodrome de Jacmel, combien de vols pourra-t-il accueillir par jour? Dispose-t-il de services nécessaires pour les passagers internationaux? A-t-il une tour de contrôle pour gérer un volume important de trafic aérien? A-t-il des services de douanes et de contrôle des bagages? A-t-il le personnel qualifié nécessaire pour assurer un service respectant les normes exigées?

Une annonce déconnectée de la réalité

Les propos du ministre ressemblent davantage à un exercice de communication qu’à une description fidèle de la réalité. Ce type de discours, qui aurait pu charmer au début du XXe siècle, semble aujourd’hui décalé face aux avancées technologiques actuelles et peine à susciter l’adhésion. Comme le rappelait Jean-Jacques Rousseau : « Les mots doivent être au service de la réalité, non de l’illusion. »

Il est temps que Monsieur Delatour « refasse un tour dans les aéroports internationaux » puis « redescende sur terre » : une piste de 1000 mètres ne suffit pas à faire un aéroport international.

Aéroport de canton en Chine

Domond Willington / Fouye Rasin Nou (FRN)

2 thoughts on “L’aérodrome de Jacmel, un aéroport international? Vraiment, Monsieur le ministre?

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