Depuis la transition démocratique, aucun gouvernement haïtien ne peut se targuer d’avoir relevé les grands défis auxquels le pays fait face. Malgré les échecs répétés, les dirigeants quittent toujours leurs postes avec le sentiment du devoir accompli. Mais quel devoir ont-ils réellement accompli ? Celui d’échouer, de contribuer à la déchéance ou de prétendre mettre le pays sur les rails du développement ?
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Dès le soulèvement héroïque des esclaves au 18e siècle, qui fit d’Haïti le premier empire noir indépendant du Nouveau Monde, la nation continue de faire face à des défis économiques, politiques et sociaux majeurs. Autrefois reconnue comme le « Phare de la Liberté », Haïti est aujourd’hui tristement connue comme le pays le plus pauvre des Amériques, marqué par la corruption, une mauvaise gouvernance chronique et des politiques publiques inadaptées, voire inexistantes. Cette dégringolade, qui dure depuis plusieurs décennies, est exacerbée par une classe dirigeante souvent manipulée par des intérêts étrangers. En réalité, la majorité de nos politiciens ne sont que des contractuels des puissances internationales, préférant obéir à leurs ordres plutôt que d’apporter des solutions concrètes aux problèmes du peuple haïtien. Ils se contentent de beaux discours sans jamais agir pour améliorer la situation du pays. Tous les gouvernements successifs, de 1990 à nos jours, ont contribué à cette descente aux enfers. Mais étrangement, chacun affirme avoir accompli son devoir.
Malgré ces désastres, chaque responsable politique affirme avoir bien fait son travail. Comment peut-on expliquer ce décalage entre la réalité et les affirmations de nos dirigeants ?
En 1941, la couverture forestière d’Haïti était de 65 %. Aujourd’hui, elle est inférieure à 3 %, un symbole dévastateur de la déforestation accélérée. Cependant, chaque ministre de l’Environnement quitte son poste avec le sentiment du devoir accompli. De même, la balance commerciale haïtienne affiche un déficit record : Haïti importe plus de 85 % de sa consommation totale, tandis que 4,9 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire grave, selon le Programme alimentaire mondial. Malgré ces faits alarmants, les ministres de l’Agriculture, du Commerce, de l’Économie et de l’Environnement successifs se disent satisfaits de leur gestion.
Sur le plan sécuritaire, la situation n’est guère meilleure. Année après année, l’insécurité s’intensifie, et pourtant, les directeurs de la Police nationale, les ministres de la Justice et les chefs du Conseil supérieur de la Police nationale (CSPN) continuent de défendre leur bilan sans admettre leur échec.
Faut-il alors se résigner à croire que les échecs récurrents des dirigeants haïtiens sont désormais normalisés ?
Les échecs successifs depuis 1991
Tout d’abord, commençons avec Jean-Bertrand Aristide, élu en 1991, qui a incarné les espoirs de millions d’Haïtiens désireux de changement. Cependant, son passage au pouvoir a laissé des traces profondes. En 1995, lors de son second mandat, en acceptant de réduire les droits de douane sur le riz importé à 3 %, Aristide a contribué à la destruction progressive de la production agricole nationale. Selon la FAO, Haïti importait environ 85 % du riz qu’elle consommait en 2023, une dépendance extrême qui est une conséquence directe de cette décision.
En parallèle, Aristide avait soutenu, voire souhaité, un embargo commercial total sur Haïti imposé par les États-Unis et les Nations Unies, qui a paralysé l’économie haïtienne entre 1991 et 1994. Sa demande explicite de l’embargo à l’ONU a été rapportée par le journal Le Monde en date du 30 octobre 1993.
Durant cette période, le chômage a atteint 60 % dans certains secteurs, et le produit intérieur brut (PIB) a chuté de près de 25 %, selon les données de la Banque mondiale. Ce climat économique morose a marqué une période de baisse économique qui a affecté durablement le tissu économique du pays.
René Préval : La privatisation des entreprises publiques et l’ajustement structurel
René Préval, successeur direct d’Aristide, a été un acteur clé dans l’application des réformes d’ajustements structurels imposées par les institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale. Sous son mandat, plusieurs entreprises publiques importantes, telles que la Minoterie d’Haïti et la Cimenterie nationale, ont été privatisées ou démantelées, réduisant considérablement les capacités productives du pays. Selon une étude de la Banque mondiale, cette privatisation a entraîné une augmentation de plus de 30 % des prix des services fournis, tout en éliminant des milliers d’emplois dans le secteur industriel.
Préval, qui a promu des politiques néolibérales sous la pression de ces institutions, a également vu les inégalités de revenus s’accentuer considérablement durant son mandat. Le coefficient de Gini, indicateur de la répartition des richesses, est passé de 0,45 à 0,50, un signe de l’aggravation des disparités sociales dans le pays.
Le régime du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) : La dilapidation des fonds PetroCaribe et la corruption
Le mandat de Michel Joseph Martelly, qui a débuté en 2011, est marqué par la gestion opaque des fonds PetroCaribe, un programme de coopération énergétique financé par le Venezuela. Selon un rapport du Sénat haïtien, près de 2 milliards de dollars américains auraient été détournés ou mal utilisés. Ces fonds étaient initialement destinés à financer des projets d’infrastructure et des initiatives sociales, mais aucun développement significatif n’a vu le jour.
Pendant ce temps, le taux de corruption sous Martelly a atteint des sommets. Transparency International a classé Haïti parmi les dix pays les plus corrompus au monde en 2015, avec un indice de perception de la corruption de 19 sur 100. La mauvaise gestion des ressources publiques et la persistance de la corruption sous son mandat ont aggravé la situation économique déjà précaire du pays.
Jovenel Moïse : La « Caravane du Changement » et l’aggravation de la crise économique
Jovenel Moïse, qui a pris le pouvoir en 2017 sous le parti politique PHTK, en remplaçant le président Jocelerme Privert, avait promis des réformes majeures pour relancer l’économie et améliorer les infrastructures du pays grâce à son initiative de la « Caravane du Changement ». Cependant, cette initiative a été largement critiquée pour son inefficacité. Selon la Cour des comptes, les projets de la Caravane ont coûté plus de 5 milliards de gourdes, mais n’ont eu aucun impact notable sur le terrain. Ses États généraux sectoriels, censés orienter le pays, ont coûté environ 50 millions de gourdes sans produire de résultats tangibles.
En parallèle, la promesse d’un changement durable est restée lettre morte, et l’économie haïtienne a continué de se détériorer sous le mandat de Moïse. En 2020, le PIB haïtien a chuté de 3,3 %, tandis que le taux d’inflation a atteint 24,7 %, aggravant les conditions de vie des Haïtiens. L’insécurité alimentaire a également explosé, avec plus de 4,9 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave, selon le Programme alimentaire mondial.
Le mandat de Jovenel Moïse a pris fin brutalement le 7 juillet 2021, lorsqu’il a été assassiné dans sa résidence privée à Port-au-Prince. Avant sa mort, il avait nommé Ariel Henry comme Premier ministre, mais celui-ci n’a pas eu le temps d’être officiellement installé. Selon la DCPJ, Ariel Henry aurait été impliqué dans les événements entourant la mort du président, ce qui a suscité de nombreuses interrogations et théories du complot.
Ariel Henry : Les territoires perdus et l’aggravation de la crise
Après la mort de Jovenel Moïse, Ariel Henry a finalement pris le pouvoir en tant que Premier ministre, héritant d’un pays en proie à la violence et à l’instabilité politique. Durant ses trois ans au pouvoir, Henry n’a pris aucune mesure concrète pour stabiliser le pays ou organiser des élections crédibles. Sous sa direction, la situation sécuritaire s’est détériorée de manière dramatique, avec près de 80 % de Port-au-Prince est aujourd’hui sous le contrôle des gangs, selon des rapports de l’ONU.
Son gouvernement a été largement soutenu par le parti politique SDP (Secteur Démocratique et Populaire), un groupe qui a bénéficié de nombreux privilèges pendant son mandat. Le porte-parole du SDP, André Michel, qui se présente comme « l’avocat du peuple », avait pourtant été l’un des plus farouches opposants à Jovenel Moïse, affirmant que « les barricades sont l’avenir du peuple haïtien ». Il avait également déclaré : « Malere, malerèz pa nan fèt », promettant qu’après la fin du mandat de Jovenel Moïse, Haïti marcherait sur du « sirop et miel ».
Cependant, après la mort de Jovenel Moïse et l’arrivée d’André Michel comme principal supporteur du PM Ariel Henry, avec son parti politique SDP qui avait Ricard Pierre comme ministre de la Planification et tant d’autres postes qu’ils occupaient dans ce gouvernement, Haïti n’a pas connu la prospérité promise. Au contraire, la violence a pris une ampleur sans précédent, plongeant le pays dans un chaos encore plus profond. Aujourd’hui, les Haïtiens marchent non pas sur des chemins pavés de miel, mais sur des rues tachées de sang et jonchées de cadavres. Le SDP, loin d’avoir apporté des solutions aux problèmes du pays, s’est révélé incapable de gouverner, et la « barricade » tant vantée par André Michel s’est transformée en obstacle infranchissable à la paix et à la prospérité. Qui plus est, le principal bilan vanté par le leader du SDP est le fait d’avoir demandé l’envoi de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) pour aider à combattre les gangs. Bref, au pays de Jean-Jacques Dessalines, le principal bilan d’un leader politique est d’avoir demandé qu’une force étrangère foule le sol national. Incroyable mais vrai !
Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et les défis actuels
Et aujourd’hui, nous avons le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) avec Garry Conille comme chef de gouvernement, qui a été formé à la demande du Caricom. Composé de sept membres représentant plusieurs partis politiques, le CPT dit se donner pour objectif de sortir le pays de la crise. Garry Conille, ancien Premier ministre sous Michel Martelly, a été désigné pour diriger le gouvernement. Cette nouvelle transition avait pour but d’améliorer la situation politique et sécuritaire en Haïti et d’organiser des élections crédibles.
Cependant, avec ce CPT qui comptait sur la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité d’Haïti, la violence des gangs et l’insécurité continuent de sévir. Selon les chiffres actualisés du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), dévoilés le 27 septembre 2024, au moins 3 661 personnes ont été tuées en Haïti depuis janvier 2024. Ce bilan dramatique, le plus élevé depuis 2023, illustre l’ampleur de la violence. Toujours selon des rapports de l’ONU, près de 80 % de Port-au-Prince est aujourd’hui sous le contrôle des gangs, rendant des zones entières de la capitale inaccessibles et paralysant l’économie.
Le CPT n’a pas encore réussi à faire des progrès significatifs dans la résolution de la crise sécuritaire, ni dans la crise de la faim, ni à mettre en place un cadre clair pour la tenue d’élections, laissant ainsi le pays dans une impasse politique prolongée. Au contraire, trois des membres du Conseil présidentiel de transition, en la personne de Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertiliaire, sont impliqués dans un vaste scandale de corruption. Parallèlement, une lutte aussi inutile soit-elle existe entre le gouvernement dirigé par Garry Conille (qui multiplie les visites jusqu’à présent inutiles dans la capitale) et le Conseil présidentiel de transition pour le contrôle réel du pouvoir alors que ces derniers mettent au second plan les problèmes réels du pays.
Il est à noter aussi que ces dernières années, plusieurs parlementaires haïtiens comme Prophane Victor, Youri Latortue, Joseph Lambert, Nenel Cassy, Jocelerme Privert, John Joël Joseph (inculpé dans la mort du président Jovenel Moïse), Garry Bodeau, Arnel Belizaire, ont été directement indexés dans des affaires de corruption de grande envergure, notamment liées à la dilapidation des fonds PetroCaribe. Selon des rapports d’audit de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA), des membres du Parlement ont profité de leur position pour détourner des millions de dollars destinés au développement des infrastructures, à l’éducation et à l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Malgré les preuves accablantes, la justice haïtienne n’a entrepris aucune véritable enquête ou poursuite à leur encontre. Cela a contribué à renforcer la culture de l’impunité dans le pays, où des individus occupant des postes clés sont rarement tenus responsables de leurs actions. Alors que des sanctions internationales, notamment sous forme de gels d’avoirs et de restrictions de voyage, ont été imposées à plusieurs de ces responsables par des instances comme le département du Trésor américain et le Canada, la justice haïtienne reste bras croisés, laissant les acteurs locaux continuer à jouir de leur liberté sans craindre des répercussions nationales.
Ainsi, depuis plus de trois décennies, Haïti est prise dans une spirale descendante d’échecs politiques, économiques et sociaux. De Jean-Bertrand Aristide à René Préval, en passant par Michel Martelly, Jocelerme Privert, Jovenel Moïse et Ariel Henry, aucun dirigeant n’a réussi à inverser cette tendance. La corruption endémique, les politiques néolibérales mal conçues et l’absence de leadership visionnaire ont maintenu Haïti dans la pauvreté et l’instabilité.
Les données montrent clairement que, malgré les promesses répétées de développement, le pays continue de souffrir sous le poids d’une mauvaise gouvernance et d’une descente aux enfers à tous les niveaux. Cependant, tous les gouvernements affirment avoir bien géré le pays et accompli leur devoir. Ces présidents se contentent plutôt de donner des slogans lorsque le peuple tente de dénoncer les différents problèmes qu’ils confrontent quotidiennement. Voici un florilège des slogans à tout va de certains dirigeants haïtiens :
• Aristide : « Lapè nan Vant, lapè nan tèt / Pa ezite bayo sa yo merite. »
• Préval : « Naje poun sòti »
• Martelly : « Bandi legal »
• Privert : « Est-ce que ça dérange ? »
• Jovenel : « Ti rès la e pou pèp la »
• Ariel : « Ahh ouvè je nou »
• Garry Conille : « Nap rekipere teritwa yo Kay pa kay, Katye pa katye »
Des mots, rien que des mots mais aucune action réelle pour inverser le cours des choses.
Leur devoir était-il de plonger le pays dans l’abîme et de l’appauvrir ? Aussi mystérieux que cela puisse paraître, aucun membre des gouvernements successifs en Haïti de 1991 à nos jours n’affirme avoir échoué alors que le pays continue sa descente aux enfers.
Haïti serait-elle le pays qui se tue tout seul ?
Domond Willington et Jean-Pierre Styve / Fouye Rasin Nou (FRN)