Ce 17 octobre 2024 marque le 218e anniversaire de la commémoration de la mort de Son Altesse l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, père de la nation haïtienne. À cette occasion, l’équipe de FOUYE RASIN NOU (FRN) a choisi de revisiter certains aspects de la vie de cet être exceptionnel qui a marqué l’histoire d’Haïti, des Noirs et du monde.
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Controverse autour de sa Date de Naissance
La commémoration de l’anniversaire de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines a été officialisée par le Président Jovenel Moïse, par arrêté présidentiel, le 17 septembre 2020. Ce texte a déclaré le 20 septembre « Jour de Dessalines » et en a fait une « date officielle et chômée ». Selon l’histoire officielle, Dessalines serait né le 20 septembre 1758 sur l’Habitation Vye Kay à la Grande Rivière du Nord. Cette date a été avancée par Jules Rosemond dans sa « Conférence sur la vie de Dessalines » en 1903, rapportée par Timoléon Brutus dans L’Homme d’Airain. Toutefois, bien que l’année semble faire consensus, d’autres dates sont suggérées pour le jour et le mois de naissance. Par exemple, le musée du Panthéon National affiche le 20 février de la même année.
D’autres références historiques avancent la date du 25 juillet. L’historien Thomas Madou rapporte qu’une fête en l’honneur de Dessalines a été organisée le 25 juillet 1805 par le Général Henri Christophe, qui fit un discours suggérant que cette date pourrait être sa date de naissance. Le discours commence ainsi : « Sire, la fête de Votre Majesté revient sous les plus heureux offices… ». Roumage Jeune, Administrateur de la Division du Nord, commença le sien par ces mots : « Sire, nos cœurs éprouvent une bien douce satisfaction en ce jour qui est l’anniversaire de votre auguste fête ». Ces éléments renforcent l’idée que le 25 juillet pourrait être la date de naissance de l’Empereur. Le 20 septembre pourrait être, selon certaines théories, la date de son baptême.
Commémoration de sa mort
L’Empereur Jean-Jacques Dessalines meurt le 17 octobre 1806. Selon l’histoire officielle, ce dernier est mort au Pont Larnage (désormais Pont Rouge) sous les balles assassines de plusieurs soldats après un complot fomenté par plusieurs grands généraux de l’Armée, de concert avec les grands propriétaires terriens et les grands commerçants. Ce complot fait suite à plusieurs mesures prises par l’Empereur qui heurtent les intérêts des puissants. Parmi ces mesures, on peut citer la vérification des titres de propriété, l’annulation des contrats de bail à ferme passés avec certains anciens colons français, l’orientation de sa politique commerciale. L’ambition du pouvoir de certains généraux comme Alexandre Pétion constitue aussi l’une des principales causes de son assassinat. Après avoir été massacré et mutilé, son corps fut ramassé par Marie Sainte Dédée Bazile (plus connue sous le nom de Défilé la folle) et un gueux du nom de Dauphin.
Après sa mort, il a été interdit de prononcer son nom ou de le commémorer. Cependant, ce n’est que 39 ans plus tard, soit en 1845, que le Président Jean-Louis Michel Pierrot, originaire de l’Acul du Nord, eut le courage de commémorer la mort de l’empereur.
Son Œuvre
Au-delà de son âge ou de sa famille immédiate, ce qui mérite d’être mis en avant est l’œuvre ou l’héritage du Général Jean-Jacques Dessalines.
Le Génie Militaire, Terreur des Esclavagistes Blancs
Dans le narratif occidental, Jean-Jacques Dessalines est souvent présenté comme un barbare, un sanguinaire inculte, voire un dictateur sans mesure. Cependant, lorsque les vaincus écrivent l’histoire des vainqueurs, ils ont tendance à tronquer ou falsifier les faits. Ils préfèrent mettre en avant le génie militaire et diplomatique (incontestable, il faut le dire) de Toussaint Louverture, qu’ils ont malheureusement réussi à capturer, tout en rabaissant Dessalines. Pourtant, Dessalines s’est révélé être un génie militaire et la terreur des esclavagistes blancs. C’est peut-être cela qui dérange par-dessus tout ! Dessalines lui-même l’a exprimé le 1er janvier 1804 dans son discours aux Gonaïves : « Rappelle-toi que j’ai tout sacrifié pour voler à ta défense : parents, enfants, fortune, et que maintenant je ne suis riche que de ta liberté ; que mon nom est devenu en horreur à tous les peuples qui veulent l’esclavage, et que les despotes et les tyrans ne le prononcent qu’en maudissant le jour qui m’a vu naître… ».
Une autre citation célèbre de Dessalines illustre son engagement profond : « L’indépendance ou la mort ! » Ce cri de guerre incarne parfaitement la détermination de Dessalines à libérer Haïti de l’oppression coloniale et symbolise son courage et son sacrifice pour la liberté. Leslie François Manigat, écrivain et ancien président d’Haïti, a également souligné cet engagement en déclarant : « Pour Dessalines, la liberté n’était pas seulement un idéal, mais un impératif moral. Il a compris que l’émancipation des Noirs était essentielle pour construire une nation juste. »
Là où Toussaint a échoué, Dessalines a réussi. Intrépide, il a continué l’œuvre de ce dernier et l’a achevée de la meilleure manière possible. Dessalines a planifié la bataille de la Crête-à-Pierrot et la bataille de Vertières, mettant en déroute la première puissance militaire de l’époque. Il a infligé la plus grande défaite de son histoire à Napoléon Bonaparte grâce à ses stratégies et son sens tactique.
Le Champion de la Liberté
Outre son génie militaire, Dessalines s’est distingué par son engagement en faveur de la liberté réelle. Les historiens mettent souvent en avant deux chartes du monde occidental : le Bill of Rights britannique de 1689 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée en France le 26 août 1789, qui posent le principe de la liberté et de l’égalité pour tous (article 1er : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits »). Ces deux pays sont présentés comme champions de la liberté et du respect des droits de l’homme. Cependant, ils possédaient des colonies où l’esclavage et les tortures des Noirs sévissaient encore. En réalité, ces textes ne concernaient que les citoyens de l’Angleterre et de la France, et non les esclaves des colonies. L’Angleterre a voté une loi pour l’abolition progressive de l’esclavage en 1833, avec l’émancipation définitive proclamée le 1er janvier 1838 ; la France n’a aboli l’esclavage qu’en 1848 par le décret du 27 avril.
Dessalines a rendu effectifs les concepts d’égalité et de liberté pour tous en Haïti au lendemain de l’indépendance. En effet, dans le cadre de son combat, « Indépendance ou la mort » et « Liberté ou la mort » étaient ses cris de ralliement. La liberté était si chère à ses yeux qu’il a été le premier à rendre effective l’abolition de l’esclavage en Amérique. À l’article 2 de la Constitution du 20 mai 1805, il est stipulé : « L’esclavage est à jamais aboli ». Les Polonais, trompés par la France, ont été reconnus comme Noirs et ont reçu la nationalité haïtienne. Dessalines a déclaré que tout esclave foulant le sol d’Haïti serait automatiquement déclaré libre. Pour éviter toute discrimination raciale et favoriser l’égalité, la Constitution stipule en son article 3 que « Les citoyens haïtiens sont frères entre eux ; l’égalité aux yeux de la loi est incontestablement reconnue, et il ne peut exister d’autre titre, avantages ou privilèges, que ceux qui résultent nécessairement de la considération et en récompense des services rendus à la liberté et à l’indépendance. » Et en son article 14 que « Toute acception de couleur parmi les enfants d’une seule et même famille, dont le chef de l’État est le père, devant nécessairement cesser, les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de Noirs. » Ainsi, ce que les Français et les Anglais n’ont pas eu le courage de faire, a été accompli par Dessalines, qui a fait de la liberté réelle sa véritable lutte.
Un Idéal Élevé
Jean-Jacques Dessalines est un homme animé par un idéal élevé souvent occulté. Il a toujours été guidé par l’amour de sa race, de son peuple et de sa patrie. Plutôt que de se contenter de sa liberté personnelle ou de ses avantages (qu’il avait certainement en tant que général de division et lieutenant de Toussaint Louverture), il a mis tout en jeu, au péril de sa vie, pour assurer la liberté de tous les esclaves Noirs et leur bien-être. Sa devise « Liberté ou la mort » illustre l’ampleur de son amour et de son sacrifice. Cet idéal est souvent résumé sous le titre d’« idéal dessalinien », dont les principaux aspects sont :
- La sauvegarde de l’indépendance : Dessalines voulait protéger l’indépendance nationale à tout prix. Il a pris plusieurs mesures concrètes (construction des forts, élimination des Français, campagne de l’est, réorganisation de l’armée, etc.) pour la préserver.
- L’intégrité territoriale : Ce concept évoque le droit et le devoir inaliénable d’un État souverain de préserver ses frontières de toute influence extérieure. Menacée par une invasion étrangère, Haïti a été protégée par Dessalines à travers diverses dispositions pour sécuriser le territoire national et ses frontières.
- La justice sociale : Dessalines a résumé son projet de justice sociale par la phrase : « Et, les Noirs dont leurs pères sont en Afrique, n’auront-ils donc rien ? » Il voulait que les ressources du pays après l’indépendance soient réparties équitablement entre tous les citoyens.
- L’unité nationale : La Constitution de 1805 reflète le désir d’unité nationale de l’Empereur. Haïti étant le produit d’une société esclavagiste et raciste, Dessalines a compris que les discriminations nuiraient à la construction de la jeune nation. Il a donc mis en avant le principe de non-discrimination à travers l’article 14 de la Constitution de 1805.
- La gratitude comme socle de toute relation : Bien que souvent négligé par les historiens, cet aspect est crucial dans la pensée dessalinienne. Dessalines a toujours montré de la gratitude dans sa vie et dans ses choix politiques. Il a protégé son ancien maître Jean-Baptiste Dessalines, qui l’avait affranchi malgré la lutte contre les propriétaires d’esclaves. Enfant orphelin, il a veillé sur Victoria Montout, qui l’avait élevé, et a ordonné à ses médecins de prendre soin d’elle comme s’il était lui-même au palais impérial. Il a aussi honoré les sacrifices des Taïnos, premiers habitants de l’île, en redonnant au pays le nom d’Haïti et en choisissant le rouge dans le drapeau comme symbole des Amérindiens.
En somme, l’Empereur Jean-Jacques Dessalines est bien plus que ce que l’on a souvent présenté. Sa grandeur dépasse les frontières et son idéal met en lumière un leadership éclairé, renforçant sa valeur en tant que personnage central de l’histoire haïtienne. Il a su renverser l’ordre mondial imposé par les puissances de l’époque et rétablir la dignité de l’homme noir. Il est également le leader qui a mis de côté ses propres intérêts pour garantir la liberté de tous et créer le premier empire noir de l’Amérique. Dessalines est ce chef d’État qui, malgré les grands défis, a pris les mesures nécessaires, même au prix de sa vie. Il a consacré sa vie au bien-être de ses semblables. Il est temps de célébrer la liberté et de rendre à l’Empereur l’honneur qu’il mérite.
Ensemble, Haïtiens et Haïtiennes, commémorons non pas la mort mais l’œuvre éternelle du père de la patrie, l’un des plus grands hommes de l’histoire de l’humanité.